Pain à demander et à partager

( Mt. 6,5-15 )
traduction de l'article de Alberto Maggi, publié sur la revue NIGRIZIA n 2/2011
Ces versets sont considérés comme étant les versets les plus difficiles, non seulement des
Évangiles, mais de tout le nouveau testament. Leur traduction est une entreprise ardue sinon impossible, car ce texte contient des termes inexistants dans la langue grecque.
Comment est-il possible que ces versets, connus sous le nom de ''Notre Père'', soient ainsi
compliqué ? Déjà Thérèse d'Avila, grande mystique et Docteur de l'église exprimait son trouble en se demandant : '' pourquoi Dieu ne s'est-il pas expliqué plus clairement sur certains points aussi importants et obscures pour se faire mieux comprendre. Et je me suis dit que cette prière, commune
qui devait servir à tous, aurait mérité pour chacun la possibilité de l'appliquer à ses besoins particuliers et d'y trouver un argument de consolation, persuadé de bien l'interpréter.''
Le problème insurmontable du ''Notre Père'' est justement né du fait qu'il a été considéré
seulement comme une prière. En faisant ainsi, la grandeur de ce texte a été confiné dans la sphère des prières et dévotions avec des conséquences tellement opposées voir même néfastes pour la foi. Qu'il nous suffise de penser à l'invocation '' donnes nous aujourd'hui notre pain de ce jour '' (Mt 6/11) qui prend un sens différent suivant la latitude où elle est prononcée. Alors que dans le monde occidental prospère où le pain abonde et se jette (dans la seule ville de Milan, on jette aux ordures cent quatre-vingt quintaux de pain chaque jour), il est un indice de bien-être, dans le dernier monde où chaque jour vingt-six mille enfants meurent de faim, pour les squelettiques croyants, cette prière est signe d'une promesse manquée. Ils prient comme les obèses, chrétiens privilégiés du monde
opulent mais les effets ne se voient pas, le pain quotidien reste un mirage et le '' donnes nous aujourd'hui '' sonne comme une farce.
Et pourtant le ''Notre Père'' voulait être justement un remède et une solution à cette
injustice. En effet, Jésus n'entend pas enseigner une prière, mais invite les siens à pratiquer les béatitudes pour la réalisation du royaume de Dieu, et le ''Notre Père'' est, sous forme de prière la formule d'acceptation des béatitudes (Mt 5,3-10).
Les cieux bondés de monde
Comme Moïse, après avoir établi l'alliance entre le peuple et Dieu à travers le décalogue (Dt 5,6-21), avait formulé l'acceptation des dix commandements à travers le ''Écoute Israël'' (Dt 6,4-10) ainsi Jésus formule dans le ''Notre Père'' l'acceptation des béatitudes.
La première béatitude regarde le choix de la pauvreté, ou plutôt le choix du partage qui
permet à Dieu de se manifester comme roi, comme celui qui a souci des pauvres (Mt 5,3). Cette tâche permet à ses fils de l'invoquer comme Père, l'unique qui est aux cieux (Mt 6,9), le seul qui, ayant la condition divine peut gouverner les hommes.
Au temps de Jésus les cieux étaient bondés de monde ; il n'y avait pas seulement le Seigneur ''qui est aux cieux '' mais tous ceux qui détenait un pouvoir résidait aux cieux, parce qu'ils étaient au-dessus de tous et on les considérait comme des dieux, fils des dieux, empereurs, pharaon, rois et princes. Des astres étaient tous ceux qui étaient liés au pouvoir des trônes aux dominations, des principautés aux puissances (Col 1,16). A une époque où ceux qui ne reconnaissaient pas la nature divine de l'empereur risquait leur tête (Ap 13,15 ; Dn 3,1-6.15), Jésus proclame que le seul qui est aux cieux est le Père, et il invite à ne reconnaître à personne d'autre le rôle de père (''Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est eux cieux'' Mt 23,9).
Après l'acceptation de la première béatitude, celle qui permet au règne de devenir réalité
(''..car le royaume des cieux est à eux'' Mt 5,3), Jésus annonce les effets de ce règne, avec la fin de l'oppression pour les affligés, la restitution de la dignité aux déshérités et la disparition de toute forme d'injustice (Mt 5,4-6). C'est également l'objet des trois premières demandes du ''Notre Père'', qui regardent les effets sur l'humanité de l'activité de ceux qui ont accueilli les béatitudes. Voilà pourquoi on demande que le nom du Seigneur soit sanctifié (Mt 6,9) c'est à dire qu'il soit reconnu comme Père, comme celui qui, non seulement se préoccupe de ses fils, mais précède leurs besoins.
Et puis Jésus invite à demander que le royaume du père s'étende (Mt 6,10). Ce règne ne doit pas venir, il est déjà là. A partir du moment que les disciples ont accueilli la première béatitude, le royaume n'est plus une promesse mais une réalité. Cependant, maintenant, la communauté demande que son expérience du royaume se propage, pour en porter les bienfaits vitaux à tout homme. C'est pourquoi elle demande aussi que la volonté du Père s'accomplisse, réalisant son projet d'amour sur l'humanité : que chaque homme puisse devenir son fils (Eph 1,5).
La deuxième partie des béatitudes (Mt 5,7-9) regarde les effets de leur acceptation chez les disciples avec leur progressive transformation en personnes toujours prêtes à aider (les
miséricordieux), transparents (les cœurs purs ) et responsables du bonheur des autres (les
constructeurs de paix). De la même manière les successives demandes du ''Notre Père'' regardent la communauté. Au centre, la plus importante qui concerne le pain et elle est formulé avec un mot inexistant dans la langue grecque '' donnes nous aujourd'hui notre pain epiousion ...'' (Mt 6,11). Jérôme, le traducteur de la Bible, fut embarrassé en face de ce terme inconnu qui indique en tous les cas un pain spécial et il décida de traduire ce même mot de deux manières différentes : supersubstantialem en Matthieu et cotidianum en Luc. L'Eglise, ensuite préféra pour la liturgie la version de Matthieu considéré plus complète que celle de Luc, mais avec la substitution du compliqué (et difficile à prononcer) supersubstanciel avec le plus facile quotidien.
Ce choix non seulement changea le sens de la demande de Jésus, mais s'opposa à son enseignement (''Ne vous faites pas tant de souci ; ne dites pas 'Qu'allons-nous manger ?' '' (Mt 6,31). Le pain qui alimente et soutient la vie des hommes ne doit pas se demander à Dieu car il en est de la responsabilité de l'homme de le produire et de le partager généreusement avec ceux qui n'en ont pas, comme cela était enseigné depuis toujours (''Donnes de ton pain à qui a faim'' Tb 4,16 ; Is 58,7).
Le fait que ce pain particulier soit demandé au Père, signifie qu'il s'agit d'un aliment qui ne peut-être que don du Seigneur et non pas produit par les hommes. Ce pain, c'est Jésus lui-même, source de vie et nourriture de la communauté (Mt 4,4 ; 26,26). Jésus, fils de Dieu, se fait pain pour les hommes afin que ceux qui l'accueillent et sont capables à leur tour de se faire pain pour les autres, deviennent fils du même Père.
C'est ce pain/Jésus qui communique la force de partager généreusement la propre existence et ses propres biens, parvenant à remettre les dettes des autres. Une communauté qui a choisi la béatitude de la pauvreté, et qui a expérimenté que ''il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir'' (Act 20,35), ne peut pas, en effet, être composé de créditeurs et débiteurs (Mt 6,12), mais saura faire du don généreux son propre signe distinctif.
Les béatitudes se terminent avec l'assurance de la protection divine même dans les moments
de persécution (Mt 5,10). De même, la fidélité à Jésus donnera la force à la communauté de rester
ferme même quand arrive l'épreuve suprême (Mt 6,13), celle de la mort infâme de leur maître et la
persécution qui se déchaîne sur ses disciples.
Le ''Notre Père'' se conclue avec la demande de la communauté d'être préservée de la présence
du mal, image avec laquelle l'évangéliste désigne situations et personnes qui proposent à la
communauté les tentations que le démon (mal par excellence / Mt13,19) a fait subir au Christ dans
le désert. Tant que Jésus reste au centre de la vie de la communauté comme unique maître et guide,
tant que sa parole et son corps alimentent et en font croître les membres, la présence du mal est
exclue.